• Roman d'amour Seconde partie, SECRET, prologue

    Roman d’amour

     

     

     

     

     

                           

    II

     

     

     

     

    SECRET

     

     

     

     

     

     

     

    Ce qui se crée, c’est toujours du secret. Quelque  chose en se créant sécrète –mais quoi ?… Ca se dit sans se dire et dans ces interstices, du secret au sacré se tisse. Et ce tissu tissé révèle et cache en même temps. Le texte en se tissant nous crie : « J’ai un secret » et ce disant il en dit trop et pas assez. L’art se crée là, dans ce creux se creusant du secret, du sacré, creuset d’un interdit bégayant et béant.

     

     

     

     

                           

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    PROLOGUE

     

     

                « Il faut être méchant pour mourir » voilà ce que se dit peut-être l’Ange quand il nous voit vivre d’en haut si un jour il nous vit. Car jamais il n’a voulu qu’on meure l’Ange étrange. Et s’il a suscité en Othello la jalousie, il le fait de façon qu’autre méchanceté que sienne ait semblé l’éveiller. Certes !

                On sait trop bien pourtant que cet Ange n’existe guère ; il n’est peut-être qu’un poète réglant des comptes avec sa vie en faisant naître et disparaître des êtres de papier… De papier, non pas ! Ce sont des ombres attachées à nos pas qui nous harcellent, nous possèdent et deviennent à notre insu davantage nous que nous-mêmes. Aussi son art nous a-t-il tourmentés à proportion de son génie : même si ce qu’il dit tu le sais faux, il l’affirme avec un tel semblant de vérité qu’il tisse autour de toi la peau d’où tu ne peux plus t’échapper. Et ce n’est plus une ombre mais l’Habit de Lumière et tu es fasciné par ce soleil menteur comme le papillon par la clarté de la bougie. Et tu te laisses consumer tout entier jusqu’au bout de sa flamme : elle danse si bien, elle est si éloquente qu’il n’est rien d’autre qu’elle à contempler. Et puis s’il t’en consume de son feu c’est que d’abord il en était consumé lui. Autour de lui, en lui, s’était tissé ce fil de feu. Cette flamme brodée, ce poème. Aux mêmes rets brûlants qu’Othello il nous prend Dieu poète, au même rets de mots car il y a d’abord été pris. Piégé. Pris aux mots. Se tissant d’eux. Tissé. Et il nous fait souffrir de sa souffrance extrême. Comment lui échapper à celui qui te traque ? Dans sa trame et son drame il te torée comme un taureau sacrifié, et tu sais qu’il est vain de le prier cet Ange-Bœuf qu’il est. Cet Ange étrange aux ailes de tissu il est aussi c’est vrai ce Bœuf bavant ses nues : c’est l’Esprit qui voit la vie d’en haut, et la hait. Exterminateur s’il en est : « Au commencement, le Verbe était »… Il te donne des ailes crois-tu, mais ce ne sont que banderilles qu’il te plante. Et ce tissu luisant et chamarré dont il te vêt, c’est le sang de ta mort.

                Voilà ce que tu es, d’autres choses aussi. Mais ce n’est pas de ça qu’il faut parler si tu veux bien parler de toi…

                Tu as d’abord goûté la vie gluante et grasse du plancton. Tu avais cru n’aimer qu’amour stérile, Morgiane t’a détrompé. Elle t’a révélé les humeurs spermatiques. Les lèvres de son sexe sécrètent, dès l’amour, un lait. Tu as aimé que ton vit pénétrât en sa vie, en fût tout englué, tout baigné, tout béni. Fécondé. Et qu’il y prît racine. Qu’il y fût enceint d’elle. Et si tu aimes mieux raconter des chimères aujourd’hui, ce goût pour la mythologie t’est venu de Morgiane : car Morgiane a le goût du mythe. Ainsi, ne croyez pas que j’aille raconter ma vie - et pourtant, c’est la mienne! Autobiographie? Non pas! On se penche, on croit se pencher sur celui qu’on croit avoir été, sans voir que ces mots qu’on écrit vous feraient être et naître et vous porteraient autrement si on voulait, si on vivait, si on les vivait vraiment : pas d’autre événement que ceux que main-tenant je me raconte. Ce n’est pas un passé mais un autre présent. Je serais plus vivant et plus vrai, plus proche du goût de mon sang si je vous racontais cette vie-là, que j’ai sans jamais l’avoir eue… Celle qui naît de mes doigts maintenant, se sécrète secrète… Cela dit en passant c’est mon automythographie ce que voici. Réfléchir, être exact, être au fait, ça m’a toujours fait débander et je voudrais penser bandé c’est comme ça.

                Mais savez-vous de qui, de quoi je suis jaloux ? Non pas d’une femme, la féminité me semble inépuisable, mais de la façon dont la langue couche et joue avec d’autres que moi. Cette façon qu’ils ont de la faire accoucher de soi. C’est terrible ce que j’envie ceux qui lui font l’amour si bien à cette langue ! Non, je ne les envie pas, j’en suis jaloux vraiment, parce qu’ils la font chanter en la baisant : de la voix, de la bouche et des lèvres, des doigts. Ce que je n’ai jamais su révéler en cette langue mienne et qui l’est moins que leur, eux ils le lui font faire ! Pour la faire gémir pourtant il faut et il suffit d’être vivant et c’est rare de l’être, ça n’a lieu qu’une fois, il faut en profiter tant que c’est là ! Ils sont tellement plus vivants que moi et même s’ils sont morts tous ceux-là de l’avoir fait jouir leur langue dans leurs voix. Moi, j’ai beau faire semblant de lui faire rythmer le temps, j’en suis loin, elle me traite avec tant de poli dédain ! Avec moi elle ne jouit pas. Il aurait mieux valu rester muet, analphabète, une bête en train de grogner. Comment font-ils pour la faire jouer si bien la langue dans leur tête, et la faire danser ? Et moi rien, ou si peu. Je ne suis pas peut-être un homme de parole. Même pas un homme. Plutôt un buffle, un sanglier. Avec ce mufle et cette trogne que j’ai, je grogne et ne sais que grogner !

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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